Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Démocraties

Contact

Archives

Articles RÉCents

20 octobre 2007 6 20 /10 /octobre /2007 10:47
Lionel POURTAU, Sociologue, chercheur à l’Université de Paris V.


Mon propos sera un peu plus théorique et un peu plus abstrait, ce qui nous permettra de faire un pas de côté par rapport à un sujet qui est absolument écrasant.

Tout d'abord, si vous le voulez bien : un petit texte.

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.
Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.
Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable ou tout semble être écrit d’avance.
Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. »
"Nicolas Sarkozy, discours de Dakar, Juillet 2007"… mais aussi, on le sait aujourd’hui, "Henri Guaino, plagiant Hegel, au début du XIXème siècle.

J'ai eu envie de relire ce passage en introduction de mon propos, car selon moi, quelque part, le génocide rwandais est la preuve par l'horreur que l'Afrique est totalement entrée dans l'Histoire.

Pour que l'on passe de la guerre interethnique ou civile, au génocide, il faut que la population, les structures étatiques, administratives, soient entrées dans la modernité. Il faut que le maillage du territoire soit logistiquement et technologiquement entré dans la modernité. Dès avant 1994, lorsqu'on cherchait en Afrique, l’exemple  d’un pays moderne, avancé, sur lequel et avec lequel  on pouvait faire des choses importantes et efficaces, on pensait au Rwanda.

On comprend bien que dans ma bouche, la modernité n'est pas une notion en soit positive. Auschwitz, c'est la modernité. Hiroshima, c'est la modernité. C'est donc une notion strictement historique. L'Afrique en général, et le Rwanda, en particulier, sont donc totalement dans l'Histoire et dans la modernité.

Revenons-en maintenant à ce concept du génocide. N'en déplaise aux soldats, pour moi, il s'agit d'une mutation non contrôlée de la guerre dont on sent les prémisses chez un auteur militaire. Si l'on fait un peu l'archéologie du phénomène, on trouve une théorie qui participe, avec d'autres, à l'apparition du génocide. C'est le concept de guerre totale tel qu'il est présenté par Ludendorff. Pour Clausewitz, "la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens." C'est un outil du politique, donc.
Un siècle plus tard, Eric Ludendorff renverse en fait le propos du Prussien. Pour Ludendorff, "toutes les forces de la société doivent être mobilisées dans les conflits contemporains, qui ne doivent plus reconnaître la limite entre civil et militaire." Ou bien encore, "la guerre totale exige la disponibilité absolue des forces du peuple, ses forces animiques (il veut dire par là un investissement de l'âme), physiques et matérielles. La politique totale doit, même en temps de paix, soutenir la lutte vitale du temps de guerre." Je le répète, qu'on soit bien d'accord, le militaire ne veut pas le génocide. Mais si la guerre prend trop de place dans le pays, la destruction de l'ennemi prend le pas sur la neutralisation de l'ennemi, ce qui est l'objectif du militaire, et donc le moyen se fait but.


Le génocide est en fait une forme de politique de l'unité.

C'est un outil visant la population, le peuple que l'on veut unique. Pour avoir ce peuple unique, on a le choix, en gros, entre deux types de politiques. Les deux font d'ailleurs appel à la violence physique et symbolique. C'est le prix de l'unification à des niveaux et avec des conséquences différentes.
Pour employer une terminologie anglo-saxonne, on peut différencier les "ex-politics" et les "in-politics".



Retrouvez la suite de cette intervention dans les actes du colloque, par mail.
Partager cet article
Repost0

commentaires