Le 4 mars 2012, la Russie a voté et s’est donné un vieux président, Vladimir Poutine, vieux en ce sens qu’il l’avait déjà été durant 8 ans et quatre ans Premier ministre. Le vote a pris des allures de référendum, puisqu’il s’agissait d’approuver ou non, par le biais d’une réélection, l’œuvre d’un ancien président. Différence, désormais, le mandat est de six ans au lieu de quatre, et renouvelable consécutivement une fois, à la suite d’un décret du Parlement. De prime abord, la Russie renoue avec l’atavisme soviétique qui voulait que la fonction suprême, celle de secrétaire général du Parti, soit assurée jusqu’au décès de l’impétrant.
Cependant, cette réélection marque un tournant majeur, crucial même, dans la vie de la politique interne russe. La rectitude du vote acquis par Vladimir Poutine, à raison de plus de 60 % est contestée. C’est là le fait très nouveau, la contestation provient de l’intérieur, de la population même, et se manifeste publiquement, avant et après le vote. Les accusations sont traditionnelles : bourrage des urnes, multiplication des votes, dans plusieurs bureaux, par le même électeur,… La commission électorale déclare le scrutin sincère mais elle n’est pas crue. Les manifestations rassemblent plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Pourtant, et là aussi il y a un changement, Poutine a du se livrer à une véritable campagne électorale : du jamais vu en Russie. On est loin de l’époque où Boris Eltsine, qualifié par les Occidentaux de grand démocrate, faisait tirer les chars sur l’immeuble du Parlement, la Maison Blanche russe.
Vladimir Poutine a entonné le refrain de la grandeur russe, refrain qu’il sait aller dans le sens de la sensibilité de la population. Il a promis de restaurer la grandeur de la nation, de continuer à raffermir l’Etat, de lutter contre la corruption, ce qui ne serait pas un luxe inutile. L’Union eurasiatique, unissant en un seul ensemble politique avec la même monnaie, la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, reçoit une impulsion nouvelle avec un calendrier portant l’achèvement à 2015. L’expansion industrielle et manufacturière est à l’ordre du jour afin de faire échapper la Russie à une économie de rente basée sur les hydrocarbures. Pour faire bonne mesure, les industries d’armement ne sont pas oubliées, pas plus qu’une nécessaire rénovation des armées. Coup de chapeau à la démocratie, il faut bien ! Désormais les gouverneurs des régions de la Fédération seront élus et non plus nommés d’après la « verticale du pouvoir », selon l’expression traditionnelle russe.
La contestation du vote présidentiel prend la suite de celle des législatives du 4 décembre 2011. De plus, quelle que soit la véracité du scrutin, le parti de Poutine, « Russie unie » a essuyé une défaite relative : il a reculé de 315 sièges à 238, conservant certes la majorité absolue au décompte des 450 sièges de la Douma, mais de très peu. Surtout, il y a eu recul et enregistrement de ce recul.
A la vérité, l’opposition, quelle que soit la démocratisation des partis politiques et le nom des candidats à la présidence, à la différence de « Russie unie » et de Vladimir Poutine, ne présentait aucun programme. Des slogans, certes ! Des prévisions gouvernementales charpentées, non ! A une exception près, le parti communiste et Ziouganov, son secrétaire général. Mais il est disqualifié par l’héritage et la chute de l’URSS, par ses erreurs qui ont conduit à son sabordage en 1991, et par son manque de perspectives. Encore qu’il soit la première force d’opposition avec 92 sièges à la Douma, reposant sur 19% des voix.
Vladimir Poutine a opposé ses cortèges de manifestants plus ou moins sincères et ses manifestations de masse, plus ou moins bien montées, à un mouvement hétéroclite de contestataires. Il y a eu lutte. Vladimir Poutine ne l’a pas emporté sans mal. Un coup de gong sévère a retenti à ses oreilles. Il est contraint d’en tenir le plus grand compte. Il y a là un fait irréversible.
La démocratie à la russe a encore du chemin à faire, mais n’a de leçons à recevoir de personne. Et surtout pas de ces grands donneurs de leçons que sont les Américains qui élisent leur candidat du parti républicain à coup de millions de dollars.
Général (2S) Henri PARIS
Président de DÉMOCRATIES