Depuis avril 2012, le Mali est en proie à une lutte interne, dérivée de celle, sempiternelle, opposant les Touaregs, nordistes et nomades, aux peuples noirs, sudistes et sédentaires. Cela pourrait n’être que l’éternelle réédition du conflit latent entre pasteurs et sédentaires et cela l’est, mais s’y mêlent en plus, pour l’amplifier, des affrontements religieux, sociaux et politiques. Les Touaregs renforcés par des éléments venus de Libye font profession d’islamisme fondamentaliste, se réclament d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), font sécession et règnent par une terreur sanguinaire appliquée brutalement au nom d’une charia interprétée sans discernement. Leurs antagonistes, des populations noires, chrétiennes ou animistes, les bravent passivement, sous la direction nominale d’un gouvernement amorphe, en mal de légitimité qui plus est. En effet, en mars 2012, au mépris de toute démocratie, le Mali a connu un coup d’Etat militaire portant au pouvoir une junte, ce qui a amené les Français à rompre toute relation avec elle et à interrompre leur aide. Dans la même logique, Le Mali a rejoint la Guinée-Bissau et Madagascar dans la suspension de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) ce qui avait une certaine importance dans la perspective du congrès et de la menace islamiste.
La problématique qu’offre la contagion islamiste au Mali et la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
Si, en Afrique du Nord, les fondamentalistes islamistes affectent une modération de bon aloi, en Afrique subsaharienne, et plus particulièrement en Afrique de l’Ouest, ils tentent d’asseoir leur emprise par la pratique d’un terrorisme basée sur des attentats ciblés ou aveugles et par des prises d’otages. Cependant, c’est au nord du Mali, au Sahel, qu’AQMI a réussi à s’implanter en tant que telle pour fonder l’amorce d’une organisation territoriale et gouvernementale. AQMI ne cache absolument son ambition d’une extension par la force appuyée sur la terreur.
Le Mali représente ainsi le premier domino d’une longue suite dressée en file, figurant l’Afrique subsaharienne dans son ensemble et, par delà, le monde arabo-musulman. La chute du premier domino entraînera l’effondrement successif de la file.
La menace est clairement perçue par les Occidentaux, les premiers visés, et encore plus par les Français, dont l’Afrique de l’Ouest représentait longtemps une position prépondérante et reste encore soumise à leur influence, ne serait-ce qu’au titre de la francophonie.
Après de longues tergiversations et d’obscures palabres, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) a adopté, à l’unanimité, le 12 octobre 2012, une résolution enjoignant aux acteurs régionaux, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine (UA) en liaison avec le Secrétariat général de l’ONU, d’élaborer un concept crédible visant à rétablir la souveraineté du Mali sur la zone Nord aux mains d’AQMI. La résolution dont la préparation a été confiée à la France qui l’a présentée le 9 octobre, ce qui se conçoit, puisqu’elle est directement intéressée en sus des responsabilités que lui a léguées l’Histoire, donne aux protagonistes désignés, quarante-cinq jours pour arrêter un concept d’opérations crédible. En somme, à moins qu’AQMI, frappée d’une terreur indicible ( !) ne défère pas à la résolution, les opérations ne sont pas prévues pour débuter avant le 1er décembre 2012.
Le plan avancé par les Français prévoit l’engagement et le déroulement de l’opération avant la saison des pluies de printemps. Le plan serait mis en œuvre par les forces maliennes à hauteur de trois ou quatre bataillons, ainsi que par les forces dépêchées par la CEDEAO.
L’opération est scindée en trois phases. La première consiste à raffermir la souveraineté malienne sur la partie sud du pays, partie théoriquement sous administration du gouvernement de Bamako. La deuxième phase se résume en la mise en œuvre opérationnelle des forces de la coalition, ce qui n’est pas une mince affaire pour qui connaît un tant soit peu l’Afrique. Quant à la troisième, la plus importante, elle comporte les opérations militaires proprement dites, opérations à mener donc avant les pluies de printemps. Cela présage, ainsi, une solution vers mars-avril 2013, au mieux.
Les Français s’engagent à fournir la logistique opérationnelle et les Américains l’appui en matière de renseignement.
On pourrait en rester là et se congratuler longuement ! Les islamistes n’ont qu’à bien se tenir ! Cependant surgissent quelques interrogations formant une problématique.
Il reste à déterminer quelle est la situation du Mali, avec ses antécédents et leurs causalités, alors que des Occidentaux avec les Français en première ligne prétendent lancer une intervention. Immédiatement surgit une interrogation : certes, bouter les islamistes hors du Mali, mais uniquement avec les forces prévues, à savoir donc des contingents fournis par les Etats subsahariens ? Le but ensuite est de rétablir la souveraineté du gouvernement qui l’a perdue. Cela représente une deuxième série d’interrogations. Faire la guerre. Certes une petite guerre, mais on en disait autant de celles qui ont duré des années et qui ont distribué des millions de morts. Alors comment intervenir ? Avec quelles forces exactement ? Quels sont les Etats de la CEDEAO volontaires pour fournir les contingents ? Et comment les Français attribueront-ils et feront parvenir leur aide aux troupes combattantes ? Et, AQMI boutée dehors, comment l’empêcher de revenir ? Quelle est la finalité ? Remettre en place les pions politiques qui ont conduit à la prise de pouvoir d’AQMI ? C’est à cette problématique esquissée rapidement qu’il s’agit de répondre.
A cet effet, après avoir rapidement esquissée la situation, géopolitique et géostratégique du Mali, l’attention sera portée sur les causalités qui ont conduit au soulèvement des Touaregs et, très précisément aux contingents armés qui sont intervenus en leur faveur. De là découle un point de situation permettant une évaluation de l’intervention projetée et surtout de son succès. L’étape finale porte sur les conditions de l’établissement d’une situation stable et de l’éradication définitive du fondamentalisme islamiste de la région.
La situation malienne et la croisade djihadiste
Le Mali est un petit pays à l’échelle de l’Afrique : grand comme trois fois la France, mais avec les deux tiers d’une superficie qui est de la savane sahélienne totalement improductive. Sa population, quelque 13 millions d’habitants est composée de Touaregs à raison de 10 % et de Peuhls de l’ordre de 5%, peuplant essentiellement la partie sahélienne, nomade par vocation, en opposition aux autres peuplements sédentaires et concentrés dans le sud. Périodiquement, les Touaregs sont en lutte aussi bien contre leur gouvernement que contre leurs voisins mauritanien et algérien.
Le restant de la population, une dizaine de millions se répartit dans le sud qui ne dépareille pas les autres régions subsahariennes.
Le Sahel, terme dont la traduction, « frontière » est significative, est un arc territorial, une région de transition, s’étendant de l’Atlantique à la mer Rouge et séparant le Sahara de la savane subsaharienne qui s’épaissit au sud. Le Sahel est ainsi d’une largeur de quelque 700 à 800 km sur une longueur de 5 à 6000 km. C’est une steppe peu habitée possédant une maigre végétation herbeuse avec prédominance d’épineux.
La désertification progresse appauvrissant d’autant une population pratiquant un pastoralisme transhumant malgré la sécheresse.
Le Mali et les Etats avoisinants, le Niger, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Sénégal, la Guinée et la Côte d’Ivoire, offrent le cas précis d’un déficit en termes d’Etat de droit mais plus simplement encore d’Etat. L’appareil étatique est en réalité absent. Les pouvoirs et devoirs régaliens ne sont pas assurés. L’Algérie diffère : il y a bien un Etat algérien, mais son déficit démocratique est bien connu. Sa formation étatique est assimilable à celle de la dictature d’un parti.
La situation de ces Etats subsahariens est due à une décolonisation trop rapide, non préparée. Le colonisateur européen a tracé les frontières au cordeau, à l’aide d’une équerre et d’une règle au congrès de Berlin en 1885, négligeant toute entité ethnique ou ensemble territorial historique. Il a abandonné le pouvoir dans les années 1960, sans laisser derrière lui une élite formée pour gouverner. Les forces armées, seules formations organisées, ont plus une vocation de pronunciamiento que de défense nationale. La corruption est un mal ancré et chronique, imprégnant profondément la mentalité des gouvernants, quels qu’ils soient, dès qu’ils parviennent au pouvoir.
Dans ce contexte de délitement généralisé de toute autorité étatique, fleurissent des groupements divers, religieux, ethniques et plus simplement mafieux. L’ensemble est entremêlé.
Le monde rural est misérable, victime de famines épisodiques. L’aide occidentale, lorsqu’elle parvient, contribue à détruire une agriculture et un élevage incapables de tout décollage sérieux.
La seule richesse est minière mais sa répartition est profondément inégalitaire. L’exploitation en est laissée à des entreprises occidentales ou chinoises qui règlent des redevances aux gouvernants en place, redevances que les gouvernants s’accaparent immanquablement construisant des fortunes scandaleuses sur la prévarication. Les populations ne bénéficient d’aucune retombée économique.
La démocratie est une caricature. L’ancien colonisé a simplement changé de maître. L’ancien était blanc et est resté souvent en arrière scène. Le nouveau est noir et se comporte souvent plus brutalement.
Les soulèvements touaregs sont épisodiques, contre les Algériens et le Marocains ou comme durant les décennies 1960 ou 1980 contre les gouvernements maliens et autres. Celle de 2012 ne dépare pas. De fait, les Touaregs vivent dans un état perpétuel de dissidence.
Les Etats sahéliens, afin de rétablir l’ordre, sollicitent la France par tradition d’un appel à une puissance tutélaire. Dans une moindre mesure, l’appel s’adresse à l’Espagne.
La rébellion targuie de 2012 diffère cependant des précédentes par l’implication d’éléments extérieurs et d’une dimension religieuse.
Cette rébellion éclate en janvier 2012, profitant de l’affaiblissement de l’Etat malien, victimes des luttes internes entre ethnies noires, luttes qui vont aboutir en mars à un coup d’Etat, un de plus. En outre, elle a été considérablement renforcée par des islamistes. Elle se produit tant au nom d’AQMI que du Mouvement de Libération National de l’Azawad (MLNA) fondé de toute pièce. AQMI apparaît très normalement, après les péripéties algériennes, en prenant au plan organisationnel la suite du Groupement Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), lui-même issu du groupement islamique algérien (GIA). Le MLNA tire son origine d’une revendication majeure targuie, la sécession du nord sahélien du Mali, l’Azawad, ainsi baptisé pour les besoins de la cause.
La chute du régime de Kadhafi en Libye en automne 2011 a jeté dans le désarroi et la dispersion plusieurs milliers d’hommes formant la force armée du dictateur déchu. Ces effectifs, désormais indésirables en Libye, même auprès des fondamentalistes, donc contraints à la fuite, se sont organisés en banes avec des chefs improvisés. C’est ainsi sans difficulté qu’ils ont été recrutés par AQMI en mal de renforcement pour mener la rébellion au Mali.
Toute proportion gardée, cette situation n’est pas sans rappeler la formation des « Baltiker » dans la région de l’ancienne Courlande au lendemain de la Première guerre mondiale. La démobilisation hâtive de l’armée allemande au lendemain immédiat de sa défaite, dans un pays en proie à la guerre civile et au chômage de masse, avait jeté sur les routes toute une population qui ne connaissait qu’une profession : la guerre. Cette population, se groupant spontanément en unités sous le commandement de condottiere improvisés trouva à s’employer contre les alliés, étatiques ou non, de l’Entente dans les provinces baltes issues de la désagrégation de l’empire russe, lui-même en proie à la guerre civile. Les Baltiker, par la suite, trouvèrent à s’employer au sein des troupes de chocs du parti nazi.
Tous éléments confondus, les effectifs des forces fondamentalistes opérant au Sahel maliens ne dépassent pas 3000 combattants. Si ce sont d’excellents combattants individuels, les islamistes formés en unités élémentaires, les Katibas sont d’exécrables manœuvriers par manque d’esprit de discipline et d’organisation. Ils n’ont aucun sens de la manœuvre et se comportent autant en bandits et détrousseurs qu’en combattants d’une quelconque idéologie. Leur puissance repose plus sur la médiocrité de leurs adversaires maliens, nigériens et autres … que sur leurs capacités.
L’armement collectif est faible, pratiquement inexistant. Aucun armement lourd. L’armement de prédilection est le pistolet mitrailleur Kalachnikov. Leur mobilité et fluidité est remarquable grâce à la possession généralisée de véhicules tous terrains, des 4x4 pick-up, qui permettent une répartition par petits groupes, des bandes plus que des katibas, agissant par coups de mains rapides et soudains.
Cette organisation subsiste malgré l’occupation territoriale du Sahel malien et la proclamation de l’indépendance de l’Azawad. Cette indépendance n’a pas donné lieu à la mise en place même d’une ébauche d’appareil étatique. On en reste à un système tribal.
Leurs revendications politiques sont assez diffuses, en dehors de leur haine viscérale des Occidentaux et de la volonté d’instaurer un Etat islamique basé sur la Charia. Inspirés de l’exemple taliban, leur rage destructrice s’est portée à l’encontre de monuments d’une valeur civilisation elle certaine à Tombouctou tombée en leurs mains. Il était reproché à ces monuments de s’adresser à une autre divinité que celle de l’Islam, sans plus préciser le reproche.
AQMI nourrit le concept d’une guerre de civilisation. C’est ce qui conduit sans plus de logique à la prétention de rançons importantes en échange d’Occidentaux enlevés, doublée d’une libération d’islamistes détenus et d’un abandon de la loi prescrivant des limitations de l’usage du voile islamique.
Fin mars, début avril 2012, un nouveau mouvement, celui pour l’Unité et le Djihad en Afrique de l’Ouest (MUDjAO), prêchant résolument la guerre sainte, rejoint la rébellion avec un demi-millier de djihadistes correctement équipés. Cela amène les effectifs de la rébellion à mobilise au plus un total de 3500 combattants dispersés sur l’ensemble du Sahel malien. La conséquence immédiate est la débandade définitive de ce qui subsistait de l’armée malienne. Les forces des Etats avoisinants ont le mérite d’exister, mais c’est leur seul mérite. Elles cèdent immédiatement face à un adversaire tant soi peu déterminé. Elles ne manquent pas de matériel mais de combativité. Elles ont minées par la corruption, le clientélisme et les luttes ethniques. Ce sont plus des éléments confortant le pouvoir en place ou celui d’une opposition politique quelconque. Cela ne les empêche absolument pas de perpétrer d’affreux massacres. Le Tchad ; à bien considérer la situation dispose des meilleurs forces armées, à vrai dire les moins médiocres.
La politique malienne de la France
La politique particulière française vis-à-vis du Mali découle de la politique générale africaine, telle qu’exprimée sans ambages par le président de la République le 13 octobre 2012 au sommet de Kinshasa de l’Organisation Internationale de La Francophonie.
Le nouveau gouvernement français, issu des élections présidentielle et législative de mai 2012, déclare vouloir en finir définitivement de la « Françafrique », ce concept bâti sur le clientélisme et l’occultation des violations aussi fortes que nombreuses faites par les potentats subsahariens. En conséquence, toute l’organisation spécifique, toute l’organisation, de nombreuses cellules installées aux ministères de la Coopération devenu celui du Développement et des Affaires étrangères comme à l’Elysée.
Le président Hollande a failli bouder, d’ailleurs, le sommet de Kinshasa, désapprouvant la politique par trop cynique du président congolais, Laurent Kabila, l’archétype du dirigeant africain violant sans vergogne les droits démocratiques les plus élémentaires de ses concitoyens. Par ailleurs, François Hollande sur place a réservé le meilleur accueil à l’opposition, sans trop s’interroger sur la réalité des bonnes intentions de cette opposition fragmentée en très grande partie selon les clivages ethniques. Son discours de la veille à Dakar n’était jamais qu’un prolégomène.
A la suite du coup d’Etat de mars 2012, le Mali a été suspendu de l’OIF, de même que la Guinée-Bissau et Madagascar, pour les mêmes motifs. Il s’agit toujours d’une prise de pouvoir par la force ou d’élections truquées sous l’œil intéressé par les prébendes des observateurs délégués par l’UA.
Nécessité faisant loi, il était impossible de laisser s’implanter au Mali un système fondamentaliste islamiste. La menace est évidente : les islamistes au pouvoir dans le Sahel malien ne tarderont pas à être supplantés par des organisations plus structurées.
L’OIF est d’ailleurs mal en point. Le Qatar est parvenu à se faire admettre comme membre associé de l’OIF. Sa politique se comprend : offrir un débouché à ses opposants internes islamistes dans une croisade antioccidentale. Puissent ces djihadistes encombrants être massacrés dans une lointaine Afrique.
Il a fallu se plier aux nécessités : donc organiser une intervention militaire, mais sous égide démocratique africaine et onusienne ainsi que renouer les relations diplomatiques et militaires avec la junte malienne. Cette reprise des relations revient à reconnaître la légitimité du pouvoir de la junte, en contradiction avec les intentions affichées à Dakar et à Kinsha sa.
La stratégie déployée et le rapport des forces.
Les Américains, fidèles à leur stratégie du « leading from behind » se déclarent prêts donc à diriger une intervention militaire, ainsi que prévue par la résolution onusienne mais sans engager la moindre force. Leur contribution est limitée au renseignement et à la conduite des opérations grâce à leurs moyens satellitaires et autres à partir d’une base implantée au Niger.
Après de multiples conciliabules, les Algériens se rallient à la conduite américaine. Du renseignement, des conseils, certes oui, mais pas d’engagement de la moindre force.
Bamako, aux abois, tente d’organiser une milice, en premier lieu pour s’opposer à une invasion des djihadistes dès qu’ils seront un tant soi peu organisés. La capacité guerrière de cette milice, basée à Sévaré à la frontière séparant le sud du nord, ne parvient pas à susciter la moindre illusion.
Les Français, de leur côté, ne prévoient pas d’intervention directe. Ils se sont cantonnés à déployer quelques éléments des troupes spéciales au voisinage du Mali. Leur stratégie est dictée par leur politique de non-intervention au profit d’une aide indirecte essentiellement logistique, mais aussi par la détention de cinq otages aux mains d’AQMI. Les islamistes ne se font d’ailleurs pas faute de le rappeler et ont assis leur menace de l’exécution par attentat du président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz le 13 octobre, date du sommet de la Francophonie. Aucun symbole n’est à négliger.
La stratégie à appliquer à l’adversaire islamiste découle des leçons tirées de la contre-insurrection expérimentée en Afghanistan. Les Américains redécouvrent ce que les Français ont éprouvé et médit à la suite des campagnes d’Indochine et d’Algérie. Par ailleurs, ils connaissent bien le théâtre d’opérations en héritage de leur passé colonial
En premier lieu, il s’agit de couper l’insurrection des ses bases de soutien par des opérations mobiles montées sur renseignements. La surveillance permanente de la zone est réalisable par un réseau satellitaire et par drone sans négliger l’apport humain. Une action décisive est à conduire pour couper les insurgés de la population, leur principale force de soutien, difficile à contrôler car elle se compose essentiellement de nomades transhumants.
Les technologies de l’information doivent permettre cependant de suivre sans erreur la situation tactique, toute mouvante qu’elle soit, et de conduire donc avec succès des opérations aéroterrestres. Le déroulement tactique de l’opération répond au schéma tactique classique qui consiste à détecter l’ennemi sans qu’il perçoive cette détection, puis le fixer et l’anéantir par assaut.
Le bât blesse en prospective dès qu’il est question de passer de la théorie à la pratique, de l’idée de manœuvre à son application.
En effet, il n’est pas sérieux d’escompter sérieusement que les miliciens implantés à Sévaré puissent être organisés en quatre à cinq bataillons réellement opérationnels ce qui représente les effectifs nécessaires à la conduite des opérations.
En outre les frontières de fait n’existent pas. Le passage dans les deux sens se fait sans aucun problème au point qu’il est même parfaitement impossible de trouver une trace matérielle sur le terrain tout au long de la frontière. Rien ne distingue les insurgés islamistes des nomades transhumants. Il leur est loisible de se fondre dans la population et de parer les risque de dénonciation par la pratique d’une terreur généralisée et implacable.
L’acquisition d’armement est extrêmement facile. Un pistolet mitrailleur Kalachnikov vaut 1500 dollars et une cartouche 2 dollars sur le marché. Les véhicules tout terrain s’achètent sans difficulté dans le commerce. L’accumulation des rançons, à elle seule, fournit très largement le financement.
Le constat impitoyable conduit à une solution tout aussi inexorable. Les Français se doivent d’envoyer au Mali un corps expéditionnaire chargé d’intervenir au sol. Cette solution s’impose d’autant plus que la résolution onusienne a fixé des délais précis. Les délais exigent d’être respectés sous peine d’offrir une victoire à l’islamisme. La menace que présente la prise d’otages ne peut être parée que par le refus absolu de toute négociation et par une chasse redoublée des insurgés et de ceux qui les aident. L’exemple israélien est patent : l’Etat hébreu n’est pas en butte à des prises d’otages, même par des adversaires aussi résolus que le hezbollah puisqu’il est de notoriété qu’il ne cède pas. Et non seulement, il se refuse à toute négociation mais applique, si nécessaire, des représailles ciblées.
La guerre doit être menée impérativement sur renseignement en épargnant rigoureusement les populations innocentes¸ en comprenant bien que leur complicité est le résultat de la terreur. Y répondre par une même terreur est tomber dans le piège adverse.
L’élément central de la contre-insurrection est sa conclusion. L’impératif est dans l’exigence d’une application réelle du programme politique défini par le président de la République au XIVème sommet de la Francophonie sous peine de la reproduction à l’identique d’une nouvelle insurrection islamiste : les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Les troupes d’intervention prévoient leur évacuation progressive mais rapide dès la victoire obtenue, accompagnée d’une rétrocession des responsabilités aux forces maliennes. Ces forces doivent être préparées, éduquées et instruites patiemment avant d’être engagées.
La réalité de la menace islamiste au Mali est cruelle. Seule la force peut empêcher la chute du domino malien. En revanche, cette force doit être intelligente et ne pas excéder ses capacités. Elle prépare un chemin politique, retrouvant la pensée de Clausewitz : la guerre est moyen, rien de plus, mais nécessaire face à l’emploi de la force.
L’intervention de troupes françaises au Mali est indispensable pour pallier la défection des forces armées maliennes et de la démocratie au Mali.
Cette intervention bien calculée est aussi indispensable sous commandement tactique, stratégique et politique français. Il est hors de question d’accepter le concept américain de la direction de l’arrière, sans engagement de force, de craint d’un enlisement supplémentaire. En revanche, la conduite stratégique à partir de l’arrière permet de bloquer la chute du premier domino entraînant la suite fatale. Ainsi est consolidée et frayée la voie à la mainmise sur le pétrole du Golfe de Guinée par les majors américaines. A cet effet, il suffit de fixer l’abcès malien. Le guérir est sans intérêt : il suffit d’interdire la propagation de la contagion, au prix de troubles certes permanents mais circonscrits. Les chances d’une telle stratégie restent à être évaluées. Elles paraissent faibles !
Il appartient à la France de prendre la mesure de sa responsabilité. En cas d’échec de la transformation du Mali en un Etat réellement démocratique, de droit, laïc et paisible, c’est l’ensemble de la Francophonie qui vire à un effondrement programmé à partir de la chute de l’Afrique francophone subsaharienne.
Laisser faire les Américains revient au même échec avec les mêmes conséquences ainsi que le prouvent les péripéties irakienne et afghane.
Article paru dans le revue "Défense nationale".